note de programme

Commande des Symphonies d'Automne

texte de Raymond Roussel

I. TURBOT & TRICOT

pour voix élevée et orchestre

"Voulez-vous m’expliquer pourquoi je confonds toujours M. Turbot avec Tricot ? Ils ne se ressemblent cependant pas tant que ça ; vous trouvez qu’ils se ressemblent tant que ça ? Quant à leurs noms, il y a évidemment quelque chose, mais franchement il y a trente-six noms qui ont autant de rapport que ces deux-là. Eh bien, jamais je n’ai pu me fourrer dans la tête lequel était M. Turbot et lequel était Tricot. C’est très gênant, car je ne connais pas personnellement M. Turbot, de sorte qu’il m’arrive quelquefois de le saluer en le prenant pour Tricot, ce qui l’étonne beaucoup. Comme l’autre soir, je n’ai pas dit bonjour à Tricot, convaincu que c’était M. Turbot. C’est assommant. Du reste, je suis étonnant pour confondre. Ainsi je me rappelle un soir avoir soutenu pendant une heure devant quinze personnes que les perles blanches étaient plus rares que les perles noires. Naturellement, tout le monde était après moi, mais je ne voulais pas en démordre. Je confondais avec les merles."

II. ROSE

pour voix grave et orchestre

"En ce temps-là, j’étais follement amoureux de Rose. C’était à la campagne ; elle tenait une crèmerie au village ; ah ! j’en prenais de la crème ; c’était un prétexte, vous savez, pour y aller. Elle était blonde et fraîche avec toujours les manches retroussées jusqu’aux coudes ; des bras… J’en étais fou. Et ce que c’était joli la crèmerie ! Il y avait, devant, un jardinet, de sorte qu’on ouvrait d’abord une petite porte en palissade et qu’on faisait quelques pas sur du gravier avant d’entrer. Ah ! ce jardinet… vous dire ce que c’était que ce jardinet… non, vous dire… Rempli de roses trémières ; des roses trémières partout ; on ne voyait que des roses trémières en entrant. Jusque sur la façade de la boutique où il y avait : ROSE CRÉMIÈRE."